Le Monde de Verlaine vous invite à découvrir la suite de MUNDUS, le roman de Zoélie. Pour relire les chapitres II et III, cliquez ici.
Chapitre IV
Le Gamin
Son pelage roux semble terne à la lumière. Il est en piteux état : ses
pattes sont tachetées de sang, sa gueule pendante. Il se tient à peine
debout. Les gens me regardent avec un air ahuri. Pourtant, je n'ai pas
peur. Certes, il est misérable et maigre à terroriser, il peut même
paraître fantomatique. On a l'air beau, nous deux quasi morts ! Pourtant,
je ne fais pas attention à son physique peu attirant, je ne regarde que ses
yeux. Ceux d'un pauvre renard doux et gentil, dont le corps démesuré – six
mètres de haut quand même - a complètement pris le dessus sur le
tempérament. Je n'ai jamais été très sensible, mais il est dans le même cas
que moi. Et ces choses-là, on les voit tout de suite. Ses yeux verts - d'un
vert ! - sont beaux, et terrifiants, et attirants, et magnifiques, et ils
prennent le dessus sur tout le reste, à mon avis. C'est pour cela que je
n'ai pas peur de lui, je sais qu'il ne va pas m'attaquer. Il est trop las
pour vouloir se défouler sur quelque chose, et je n'ai que la peau sur les
os.
Il essaie d'être impressionnant, il bombe le torse pour reprendre du
courage, mais il voit à mon air attendri que cela ne servira à rien. Il se
rassoit, et me fixe. La suite paraît étrange. Je n'y comprends rien.
Je le vois qui glapit, et qui m'attrape brusquement par les jambes !
Ensuite, il s'élance, de toit en toit, et ce pendant un quart d'heure, et il m'emmène dans un autre quartier.
***
CHAPITRE V
Le Renard
Nous nous observons un bon moment, mais les cris des humains me perturbent.
Soudain, mon instinct reprend le dessus sur ma réflexion et, même si je
suis fatigué, je bondis sur le gamin et je l'attrape par les bras. Puis je
m'en vais, sans faire attention aux hurlements des hommes.
Je pose l'enfant sur le toit. Il n'esquisse aucun geste. C'est normal, ça ?
Je ne suis pas habitué aux humains, et je ne sais pas ce qu'il faut faire
dans ces moments-là. Serait-il traumatisé ? C'est bizarre, un humain, quand
même. Et moi je ne suis pas un chat, je suis un renard. Géant. Un renard
géant. Et si mes semblables me voyaient ? Je serais rejeté, hué, banni. Et
ça, je ne pourrais pas l'endurer ; pour un gamin, en plus !
Ah, il bougé. Il… il se redresse. Hou là, qu'est-ce que je fais ? Je cours,
ce qui m'est impossible, ou… ? De toute façon, je suis épuisé. Je m'écroule
à terre et j'en reste là. Et je m'endors. Un rêve agité.
Je cours dans une forêt… d'immeubles. Le sol est dur, mes coussinets sont
ensanglantés, ils n'ont pas l'habitude de fouler autre chose que de la
terre, de la mousse ou de l'herbe ! C'est la nuit. Je ne vois pas la lune,
elle n'a pas besoin de m'éclairer : elle sait que ces lampadaires s'en
chargeront… un peu trop, même. Je vois l'enfant, une fourche à la main. Je
sais qu'il ne me tuera pas : je l'ai lu dans ses yeux.
***
CHAPITRE VI
Le Gamin
Je me réveille en sursaut. Un bruit : c'est le renard qui s'écroule. Je me
lève pour aller voir. Il est immobile, mis à part son flanc qui se soulève
lentement. Il dort. Son pelage constellé de tâches écarlates est très sale
; ses coussinets sont dans le même état. Le renard agite ses grandes pattes
: son sommeil est agité. Mais pourquoi m'amène-t-il ici ? Sans doute parce
que c'est calme. J'avoue que les cris des gens depuis le bas de l'immeuble
m'ont fracassé les oreilles. Je farfouille les poches de mon pantalon usé.
Quelques miettes de pain ont survécu à ma faim… Mais plus pour longtemps !
J'en prends un peu et avale sans m'attarder. J'ai pitié du renard, parce
qu'il n'y connaît rien. Moi, je peux au moins demander de l'argent. Mais
avec cette tenue, un vieux T-shirt trop grand et pantalon moyenâgeux tâché,
je n'ai aucune chance qu'on me prenne pour un humain, mais plus pour un
zombie.
J'éprouve un peu de dégoût pour le moi d'avant, cette personne
insouciante qui passait son temps à râler sans raison, ou juste parce qu'il
n'y avait pas assez de connexion. Maintenant, j'ose à peine parler dans la
rue. Aussi, je suis mieux aux côtés de ce renard géant plutôt que proche de
mes semblables. Au moins, il ne me voit pas comme un SDF, mais il m'observe
avec ses magnifiques yeux verts.
***
CHAPITRE VII
Le Renard
C'est la nuit. Dans mon monde, j'ai l'habitude de me réveiller quand la
lune est dans le ciel, et mon horloge interne me hurle d'ouvrir les yeux,
car c'est l'heure de la chasse. Mais quand j'ouvre les yeux, ce n'est pas
la forêt qui couvre l'horizon, ce sont les huttes en pierre grise des
humains. Le petit est là. En fait, je ne sais pas vraiment quel âge il a,
donc je dis petit. Il me murmure quelque chose, mais je ne comprend rien à
son charabia… je suis un renard, je te rappelle !
Je grogne un truc, histoire de lui dire que je l'ai entendu. Et que je n'ai
pas peur de lui, aussi. Mais ça, c'est nouveau. Hier, j'étais terrorisé
rien qu'à l'idée de voir un humain. Mais là, c'est… différent. Il
est différent. Ça n'est pas une brute.
Une brise fraîche et pleine de senteurs de forêt souffle depuis l'ouest. Je
crois savoir ce qui m'a poussé à venir ici. Mon instinct de L'Irëna. Il
m'attire vers la nature. Et en même temps, il me rappelle que je ne peux
pas rester dans cette ville… Oups, je m'égare ! Le petit humain se
rapproche de moi.
À suivre...
Quelle jolie histoire, quelle belle sensibilité dans l'installation de cette relation entre les deux personnages et quelle belle écriture !
RépondreSupprimerLa suite, vite !
Bravo Zoëlie,
Claire